Chers copains de promo, ceux que je côtoie encore, ceux que j’ai perdus de vue, ceux dont je connais le surnom, ceux avec qui j’ai fait la fête, ceux avec qui j’ai révisé, ceux qui sont loin de moi, ceux qui sont proches, ceux qui m’ont soutenue, ceux qui ont habité avec moi, ceux qui m’ont appris les choses de la vie, ceux qui m’ont fait rire, danser, chanter et tous les autres, chers amis,
dimanche après-midi, à 14 h heure de Montréal, 20 h heure de Paris, j’ai lancé le streaming de BFM TV, j’ai organisé ma journée, mes repas, mes activités de façon à être à l’heure pour la grand messe; à savoir la soirée électorale. C’est dans mes habitudes, je les regarde toutes. Quoi qu’il arrive.
J’aime les soirées électorales. J’aime l’adrénaline des QG de campagne, les envoyés spéciaux, les coups de gueule, les baromètres, les sondages Ipsos et CSA, j’aime le décompte avant 20 h, les mines inquiètes et les cris de joie. J’ai toujours aimé ça; d’aussi loin que je me souvienne. C’est comme si j’y étais, au QG. Je trépigne d’impatience, j’ai le trémolo dans la voix, la gorge sèche, un nœud au ventre jusqu’à 20 h : heure du grand dévoilement.
Pour une première fois en 2002, le soir du 21 avril, cette adrénaline alors si bien contenue a explosé dans une déferlante de larmes et de frissons. 14 ans. J’avais juste 14 ans. Pour la première fois, j’ai eu honte et peur à la fois. Puis j’ai eu tant d’émotions que j’ai été avec ma mère jusqu’à la mairie : voir des amis, troquer l’angoisse contre un câlin, une tape sur l’épaule, un bisou tendre de gens comme moi qui avaient peur et honte. Ce soir là tout ce qu’on a souhaité, à l’ado de 14 ans que j’étais, c’était de ne plus jamais avoir à revivre ça : l’expression d’une frange massive de la population faisant le choix de l’extrémisme, du repli et de l’obscurantisme.
Mais 12 ans ont passé et dimanche, à l’heure de la grand messe, j’étais dans un autre pays que le mien. Loin de mes copains de promo. Loin de ceux qui m’avaient fait un câlin le 21 avril 2002 et aussi loin de réussir à croire ce qu’on disait à la télé.
Dimanche, les larmes candides de mes 14 ans ont été remplacées par un état de choc. L’adulte que je suis devenue, qui peut voter, n’a pas encaissé le choc comme il fallait. Pas par faiblesse, mais par refus. Je veux conserver cet état de choc et ce malaise pour ne pas oublier. On nous dit que c’est la démocratie, que les électeurs ont parlé, que c’est « comme ça ». Moi, je refuse de faire avec. Je refuse de me plier à cette démocratie intraduisible et à ce choix qui n’est pas celui de la conviction.
Dimanche dernier, à l’heure de la grand messe, j’aurais aimé les avoir à côté de moi ces copains de promo. Ceux dont le débat me rassure, ceux dont la vivacité manque à mes vendredis soirs, ceux dont l’humour me surprend chaque fois, ceux dont les convictions me font croire que l’obscurantisme et la fermeture d’esprit n’ont pas leur place dans cette Europe qu’il nous appartient de peupler de petits êtres vivants, candides, ouverts, généreux, tolérants et optimistes.
Une amie québécoise m’a envoyé ce lien dimanche soir. A ajouter dans votre playlist : à la suite des Béruriers Noirs, Saez, Noir Désir, Philippe Katerine et Benjamin Biolay.